American Gangster
Un conte de Harlem
Début des années 1970, New York. Frank Lucas a vécu pendant vingt ans
dans l’ombre du Parrain noir de Harlem, Bumpy Johnson, qui en fait son
garde du corps et confident. Lorsque son patron succombe à une crise
cardiaque, Lucas assure discrètement la relève et ne tarde pas à
révéler son leadership, son sens aigu des affaires et son extrême
prudence, en prenant pour auxiliaires ses frères et cousins et en
gardant un profil bas. Inconnu de la police comme des hautes instances
de la Cosa Nostra, Lucas organise avec la complicité d’officiers basés
au Vietnam un véritable pont aérien et importe ainsi par avions entiers
des centaines de kilos d’héroïne pure, qu’il revend à bas prix dans les
rues de New York.
Après plusieurs films inégaux, Ridley Scott replace
sa barre au sommet du thriller américain. Son film roule à un train
d’enfer sur les rails des Scorsese, De Palma et autre Coppola. Les
références ont beau être présentes, le réalisateur ne se borne pas à
mettre son savoir-faire au service d’un sous-produit « à la manière de
». Au contraire, il nous plonge dans le Harlem des années 70 pour mieux
se livrer à une introspection sociale et politique de son pays.
A
travers l’ascension véridique du premier narcotrafiquant noir et sa
chute, causée par un policier à la probité insolite pour l’époque,
c’est à un changement d’ère qu’il nous convie, sans pour autant tomber
dans la fiction documentaire. « American Gangster » n’oublie pas sa
dimension spectaculaire, ne baisse jamais la garde du rythme et nous
offre sur un plateau hollywoodien un somptueux duel de stars. Denzel
Washington apporte à son personnage toute l’impavidité et le charisme
nécessaires pour sculpter ce marchand de mort, bon fils, bon époux et
bon chrétien. Russell Crowe incarne, en quelque sorte, son négatif.
Dévoyé, mauvais père, il compense une vie privée lamentable par une
extrême rigueur professionnelle. Ponctué de moments forts – exécution
sommaire en pleine rue, laboratoire clandestin où officient des femmes
nues, fusillade d’anthologie –, le film fait aussi la part belle à la
psychologie des personnages.
C’est dans cet équilibre sans cesse en
mouvement que cette œuvre puise sa puissance et son souffle. Autant
dire que, avec « American Gangster », « Le parrain » s’est trouvé un
sacré filleul.