Université mon amour
Recrutement à l'université
Article du Monde du 16 octobre :
Depuis une semaine, de mails en forums de discussion sur
Internet, une longue missive agite le monde universitaire. Son auteur, Xavier
Dunezat, devenu professeur de sciences économiques et sociales au lycée,
explique les raisons qui l'ont poussé à quitter l'université, où il était
maître de conférences en sociologie. Méthodiquement, en cinq chapitres,
l'enseignant dresse un tableau accablant des pratiques de recrutement en
vigueur. Il dénonce le "règne du piston", le "désert
relationnel" de l'université et le "mépris des étudiants qui
transparaît dans l'organisation globale des enseignements... et dans les
pratiques professionnelles des enseignants".
A partir de son expérience d'un an, M. Denuzat reconnaît livrer un
témoignage "très subjectif, parfois grossier". Pour
"La première raison de ma démission est que je n'assume pas la
manière dont j'ai été recruté", écrit M. Denuzat. Les procédures de
recrutement menées par des "commissions de spécialistes" privilégient
"copinage et candidats locaux, issus de l'université qui recrute",
explique-t-il. Autre désillusion, les relations entre enseignants. "Couloirs
et salles de professeurs vides, (...) bureaux fermés",
l'université est selon lui un monstre froid où les "quelques relations
socioprofessionnelles qui existent sont profondément structurées par une
conflictualité désarmante". Violente est aussi la charge contre les
enseignants-chercheurs : ils sont accusés de s'adonner à la "chasse aux
cours qui sont en adéquation avec (leurs) thèmes personnels de
recherche", de se livrer à une vive "concurrence pour attraper
au vol les niveaux intéressants" et d'afficher un "faible
sérieux en matière de notation ou de suivi d'examen".
Rarissimes sont les universitaires qui quittent un milieu dans lequel ils
n'ont pu entrer qu'après de longues années d'études. Plus rares encore sont
ceux qui critiquent publiquement ses règles. Récemment, seule la fiction a
dépeint ces travers, avec la publication en 2006 de deux romans, Petits
crimes contre les humanités (Métailié) de l'universitaire et scénariste de
bande dessinée Pierre Christin, et Félicitations du jury de Clarisse
Buono (Privé).
A la lecture du témoignage, les langues se sont déliées, souvent
anonymement. "C'est amusant de voir écrit quelque chose que tout le
monde sait, dont tout le monde se plaint sans véritablement s'y opposer",
commente un internaute. "C'est dommage que les gens démissionnent. Il
faut des gens pour réformer le système de l'intérieur", nuance un
autre blogueur. Pour Gilles Pinte, maître de conférences à l'université de
Bretagne-Sud, les moeurs décrites par M. Denuzat renvoient à une certaine
réalité. "Les instances de recrutement et de promotion sont loin d'être
transparentes. Tout le système universitaire pousse à l'individualisme alors
qu'il faudrait valoriser les réalisations collectives. La désillusion est
d'autant plus grande que l'université continue à se targuer des
principes d'ouverture, d'humanité et d'égalité des chances."