It's a free world
La loi du plus fort
Quel rabat-joie, ce Ken Loach! Le cinéaste anglais n'aura même pas eu
la décence d'attendre que la dinde de Noël soit complètement digérée et
que les bons voeux pour 2008 soient tous prononcés pour nous remettre
le nez dans le... pitalisme.
Sacré farceur (quand on est Anglais, on ne se refait pas), le
réalisateur nous assène un pavé dans la mare baptisé, avec une ironie
délicieuse, «It's A Free World». Soit, littéralement, «C'est un monde
libre», ou plutôt un monde libéralisé que Ken Loach décrit à travers le
parcours d'Angie, jeune Anglaise débordant d'ambition.
Décidée à ne pas se laisser faire après avoir été virée comme une
malpropre de son entreprise de travail temporaire, elle monte sa propre
affaire avec l'aide de sa colocataire, Rose. Grâce à son énergie, son
charme et sa combativité, elle parvient à se faire une place sur un
marché extrêmement rude et fournit des ouvriers immigrés à plusieurs
usines. Mais à trop vouloir sa part du gâteau, Angie risque de se
brûler les ailes.
Explorant le marché du travail au noir,
l'auteur de «My Name Is Joe» et «Le vent se lève» décortique la logique
cynique du capitalisme sauvage et révèle un monde du chacun pour soi où
la seule loi reste de se faire le plus de pognon sur le dos des autres
en exploitant sans vergogne les plus démunis. Raconté à échelle
humaine, le constat n'a rien de théorique et s'incarne avec une
puissance glaçante dans un récit à la fois subtil et épuré. Mais le
grand intérêt du résultat est de nous forcer à nous identifier à une
entrepreneuse, une patronne interprétée avec une fougue impressionnante
par la magnétique Kierston Wareing.
Une petite révolution dans le cinéma de Ken Loach, généralement plus
attaché aux héros prolétaires. C'est pourtant bien en épousant le
regard de cette héroïne atypique et contradictoire, certes séduisante,
mais pas franchement aimable, que le film gagne en complexité et pose
quelques questions de morale essentielles.
Décidément très en forme depuis «The Navigators», Ken Loach continue
à jouer à la perfection son rôle d'empêcheur de tourner en rond. Et ce
en sachant se renouveler et nourrir son cinéma d'une efficacité de plus
en plus admirable.