Carmin
Daphné, mine de rien
Que ça fait du bien de voir des artistes talentueux réservés et timides. Parce que, c'est vrai, y en a marre des Obispo qui se la "pète" !!!
On avait croisé Daphné sans vraiment la voir, il y a deux ans, à l’époque de L’Emeraude,
premier album exagérément précieux, trop vert et poli pour attirer
l’attention. Une certitude, néanmoins, affleurait de cette baptismale
livraison : cette fille – qui remerciait Bourvil et Jules Verne sur son
disque – possédait un avenir, à condition qu’elle s’empresse de trouver
un écrin musical à la mesure des bijoux qu’elle prétendait avoir à
offrir. On était volontairement passé à côté et désormais on ne voit
qu’elle.
Son second album, Carmin, envoûte d’un bout à
l’autre, ardent, charnel, flamboyant, incarné dans le sens le plus
précis du terme. Il aura fallu presque rien, que la présence l’emporte
dans la bascule sur l’évanescence, et qu’elle ose surtout confronter sa
prose tourbillonnante à des voltiges instrumentales aussi joliment
déraisonnables, pour qu’enfin L’Insoumise, titre de son premier
single de 2005, se justifie dans les actes. Elle n’a même rien à
craindre de la concurrence rude du calendrier, au rayon féminin
singulier, parmi les Keren Ann, Björk, CocoRosie ou Feist de saison,
avec le dossard de l’outsider qui pourrait bien l’emporter au coup de
cœur.
Daphné évite les poses tragédiennes et toute forme
d’interprétation trop figée, préférant se laisser embarquer dans les
orchestrations en laissant sa prodigieuse voix onduler au gré des
courants. Elle parvient ainsi à moduler avec autant d’aisance et de
conviction les tonalités ombrées du folk (Penny Peggy) que les teintes fauves et voluptueuses d’une pop en éventail, inspirée autant par Jimmy Webb (Les Phénix) que par Kate Bush (le magique Abracadabra).
Et puis, au cœur de Carmin, il y a deux chansons toutes simples qui surgissent, l’une après l’autre, Déclaration à celui et Mourir d’un œil,
belles à foudroyer sur place un fan de Motorhead – et peut-être même
Luz. Deux chansons sangsues, qui justifient à elles seules la couleur
passionnelle avec laquelle Daphné a choisi de baptiser son disque, ce Carmin qui vient à point nommé troubler les eaux parfois un peu trop limpides de la chanson française.