"La voyageuse de nuit"
Un petit chef-d'oeuvre dans son
genre
Que savons-nous de nos "proches"? Lorsque Olga, malade, coupe brusquement toute communication avec son entourage, ne parle plus, ne regarde plus, ce sont ses filles qui ouvrent les yeux - sur ce qui les sépare. Dans cette famille en apparence si unie, chacune des quatre sœurs a, en effet, sa propre vision de la mort et sa propre vision de la mère. Les voilà renvoyées à leur enfance et confrontées à cette vérité : dans une famille, personne n'a eu la même mère.
Sur ce canevas à la Tchekhov ou à la Garcia Lorca s'ébauche cette subtile chronique familiale où se mêlent choses vues, entendues, vécues. Olga, femme de caractère, née de l'union improbable d'un soldat russe égaré sur un plateau creusois battu par les vents et de la fille unique d'un cafetier, a élevé seule, ou presque - le mari, un marin breton au long cours, pèche par ses absences - ses quatre «pisseuses»: Katia, Véra, Sonia et Lisa, par ordre d'apparition. Elles sont devenues romancière, expert-comptable, esthéticienne ou encore avocate, mais n'ont jamais coupé le cordon.
Redevenues petites filles, les soeurs quinquagénaires se jaugent,
s'effleurent sans se comprendre. Aucune n'a eu la même mère. Et pour changer,
leur père, le marin «pacha», a la tête ailleurs. Les formules claquent,
impudiques parfois, pour contrecarrer la mort qui rôde dans ce service
hospitalier aux murs rose gencive.
Rarement on aura exploré avec tant de finesse la complexité des liens familiaux. Impossible de ne pas être secoué par ces pages entre le règlement de comptes et la déclaration d'amour : même adulte, on reste l'enfant de ses parents.