Vicky Cristina Barcelona
L'auberge espagnole
«C'est un film qui donne envie de faire l'amour!» s'est écriée une
jeune journaliste à l'issue de la projection cannoise de Vicky Cristina
Barcelona. Simple coup de sang d'une midinette émoustillée par le
casting de la décennie (Scarlett Johansson, Penelope Cruz, Javier
Bardem)? Pas du tout: quelque temps plus tard, le New York Times
renchérissait: «La lumière est d'une couleur ambrée et mordorée si
appétissante qu'on pourrait être tenté de lécher l'écran»!
Qu'est-il arrivé à Woody Allen pour que son 43e film provoque un effet
jamais entendu ni lu auparavant? Est-ce simplement, comme l'avance
pudiquement le quotidien américain, une question de lumière? Il est
vrai que celle-ci est signée par le chef opérateur Javier
Aguirresarobe, un vétéran hispanique propulsé sur la scène
internationale au tournant de l'an 2000 grâce aux images, inoubliables,
qu'il a signées pour Alejandro Amenabar (Les Autres, Mar Adentro) ou
Pedro Almodovar (Parle avec elle).
Le dernier Woody Allen susciterait une poussée de fièvre en raison
de... sa lumière. L'explication n'abusera évidemment personne: même la
réunion des acteurs les plus «chauds» du moment paraît davantage
crédible. A commencer par Javier Bardem, bloc de virilité animale,
débarrassé de la perruque à la Mireille Mathieu dont les frères Coen
l'ont affublé dans No Country for Old Men et qui lui a valu l'Oscar du
meilleur second rôle en début d'année. Mais sa présence dans le rôle
d'un peintre pygmalion et sans tabou, ainsi que celle de ses
partenaires féminines plus ou moins consentantes, expliquera tout au
plus, et a posteriori, pourquoi Vicky Cristina Barcelona sera l'un des
plus gros succès de son auteur. Sans rien dire sur ses vertus
aphrodisiaques...
Un garçon, trois filles: à deux, à trois, garçon-fille,
fille-fille, fille-garçon-fille, Woody Allen ne rechigne devant aucune
possibilité. Il se laisse glisser dans ses envies, envahir par les
stéréotypes, guider par les coïts, plus ou moins interrompus, ainsi que
par les frustrations qui font, même sous le mode comique, les grands
récits romantiques. Avec ses compositions picturales parfaites, ses
couples qui embrasent l'écran, sa liberté narrative totale ou encore le
bonheur manifeste qui a régné sur le tournage, Vicky Cristina Barcelona
prolonge l'été.
N'étaient ces nuages, apparus à Cannes déjà, où le film
figurait hors compétition.
Premier grief: il a fallu 40 films et autant de blablas
psycho-amoureux à Woody Allen pour qu'il s'aperçoive que l'amour à
trois est une alternative. Répondons que l'amour à trois par ce
cinéaste-là et dans cette époque-ci a davantage de classe et
d'implications.
Deuxième grief: ses films étaient mieux quand il tournait à
Manhattan et son tour d'Europe des stéréotypes devient franchement
pathétique. Répondons qu'il suffit de revoir les films new-yorkais du
cinéaste pour se rendre compte que tous se servaient déjà des
stéréotypes.
Troisième grief: ne réussit qu'un film sur deux et
celui-ci est donc, après Le Rêve de Cassandre, de marée basse.
Répondons que si tous les cinéastes signaient des films mineurs comme
Vicky Cristina Barcelona, le cinéma se porterait mieux!