La guerre selon Charlie Wilson
L'axe du mâle
Il vaut mieux ne pas regarder de trop près le nombre d'entrées
réalisées, aux Etats-Unis, par les films qui s'en prennent ouvertement
à la politique de Washington, en particulier à l'intervention
américaine au Moyen-Orient. Depuis Dans la Vallée d'Elah de Paul
Haggis, Lions et Agneaux de Robert Redford ou encore, inédit en Suisse,
Redacted de Brian de Palma, la vague d'indignation n'en finit pas de
déferler. Mais elle ne provoque pas de raz-de-marée: tous réunis, ces
brûlots ont attiré moins de spectateurs américains qu'un seul week-end
de Je suis une légende, avec Will Smith. Si ça continue, il apparaîtra
que la charge la plus plébiscitée fut Fahrenheit 9/11, le pamphlet
documentaire de Michael Moore, aussi contestataire que contesté.
Avant que les studios se décident, faute de rendement, à éteindre
la flamme déjà vacillante, Universal a misé gros sur La Guerre selon
Charlie Wilson: 75 millions de dollars pour un trio de stars formé par
Tom Hanks, Julia Roberts et Philip Seymour Hoffman. Une somme très
rondelette pour un film destiné aux adultes et qui ose aborder la
période 1979-1989, lorsque, à travers des tractations secrètes et des
ventes d'armes qui ne le furent pas moins, Washington a aidé les
moudjahidin afghans à se débarrasser de l'envahisseur soviétique et,
par là, à créer les conditions-cadres, comme on dit, qui allaient mener
à la catastrophe actuelle: défaite de l'URSS, chute du mur de Berlin,
avènement des talibans et d'Oussama ben Laden, 11 septembre, enlisement
de l'armée américaine au Moyen-Orient...
«Ces événements ont eu lieu... Ils furent glorieux et ils
changèrent le monde... Mais nous avons foiré la fin de la partie.»
Quarante ans après l'un des films les plus corrosifs sur la guerre
(Catch 22) et dix ans après sa satire assassine sur la Maison-Blanche
(Primary Colors), Mike Nichols clôt La Guerre selon Charlie Wilson sur
cette déclaration de son personnage titre. Un vrai cas, Charlie Wilson,
et un cas vrai surtout: Nichols, et son scénariste Aaron Sorkin -
auteur aguerri de la série A la Maison-Blanche et du Spielberg qui
suivra Indiana Jones4,The Trial of the Chicago 7 - se saisissent d'une
biographie fleuve écrite par George Crile. 600 pages compressées sur 96
minutes enlevées, dans la tradition des comédies de Preston Sturges et
de Billy Wilder.
Car Wilson, bien que réel, semble tout droit sorti de Certains
l'aiment chaud: coureur de jupons et amateur de whisky, ce Congressman
de seconde zone représentait, à Washington, le Deuxième District du
Texas - du moins quand il n'était pas, comme le suggère l'ouverture du
film, nu et cocaïné en compagnie de playmates, de strip-teaseuses et
d'hommes d'affaires véreux dans un jacuzzi de Las Vegas...
Le film, qui pousse le bouchon de la satire très loin, suggère que
ce clown opportuniste fut soudain porté par une conviction sans borne,
plutôt visionnaire, après avoir vu, saoul comme un Polonais, un
reportage à la télévision: sauver l'Afghanistan de l'agression rouge,
couper l'accès de Moscou au pétrole également, en fournissant aux
résistants afghans des «canons Oerlikon» et des bazookas capables de
faire tomber les hélicoptères soviétiques comme des mouches. Il se
trouve que Wilson, qui se contentait jusque-là de régler des conflits
de voisinage, faisait partie de la commission chargée des opérations
secrètes à l'étranger. Une commission en sommeil, inusitée et dotée
d'un budget ridicule de 5 millions de dollars. En quelques années,
Wilson, porté par sa mission, a réussi à faire passer cette somme à un
milliard de dollars et à asseoir à la même table Israël, Egypte et
Pakistan, afin de fournir des armes russes aux moudjahidin (il était
évidemment hors de question que du made in USA soit impliqué dans
l'opération sous peine de sérieusement réchauffer la Guerre froide).
Tom Hanks n'est pas seul à endosser la réussite du film avec son
numéro de James Stewart licencieux et vulgaire. Il est notamment épaulé
par une Julia Roberts très Glenn Close en maîtresse born again
béni-oui-oui qui ne dit jamais non, et par un Philip Seymour Hoffman
(l'Oscar du meilleur acteur pour Truman Capote il y a deux ans)
onctueux en agent désabusé de la CIA.
Coloré, rythmé, intelligent, en équilibre entre l'âge d'or des
comédies et l'acidité du récent Lord of War d'Andrew Niccol, La Guerre
selon Charlie Wilson pourrait être, malheureusement, le dernier de son
genre avant un bon moment: pour l'heure, les recettes n'atteignent pas
les deux tiers du budget dépensé par Universal...