Un Goncourt bien pâle
N'est pas Le Roi qui veut
Alabama Song n'est pas qu'un air de Kurt Weill repris par les Doors ni
même un roman américain mais le titre du Prix Goncourt 2007 décerné,
hier, à Gilles Leroy (Mercure de France). Il n'a fallu pas moins de 14
tours de scrutin aux membres de l'Académie Goncourt pour s'accorder. Un
temps de décision - ou plutôt d'indécision - qui indique qu'aucun
auteur ne s'imposait véritablement; un temps de discussions qui trahit
la faiblesse de cette cuvée 2007 par rapport à l'écrasante domination,
en 2006, des Bienveillantes de Jonathan Littell, lui-même entouré de
livres plus stimulants que ceux sélectionnés pour cette rentrée.
La dernière liste des ouvrages retenus par le jury du Goncourt,
publiée fin octobre, a d'ailleurs confirmé cette absence de poids
lourds. Cette liste conservait cinq ouvrages contre quatre en temps
normal. Et le jeu s'est encore compliqué par l'irruption d'Amélie
Nothomb (Ni d'Eve ni d'Adam, Albin Michel) qui, éjectée de la dernière
sélection, est pourtant revenue en outsider, décrochant une voix au
dernier tour. Beaucoup d'observateurs avaient d'ailleurs cru que son
heure était enfin venue, mais - comme le confiait récemment un membre
du jury à propos de l'auteure belge - les Goncourt hésitent à
distinguer quelqu'un qui se retrouve à chaque rentrée en tête des
ventes.
En écho à son titre qui lance le lecteur sur des pistes multiples,
Alabama Song est un Goncourt en demi-teinte: il lui manque le poids
d'un grand livre, le souffle d'une vraie création. C'est un roman qui
ne manque ni de charme, ni d'élégance stylistique, ni de poésie, ni
d'un trouble fécond, ni même d'audace, mais qui emprunte un monde
littéraire au lieu de bâtir le sien.
Après la force des Bienveillantes de Jonathan Littell, Goncourt
2006, le contraste est total. Là ou un Américain écrivant en français
affirmait haut et fort un personnage imaginaire de bourreau
controversé, s'emparant de l'Histoire et déclenchant du coup une rude
polémique, un auteur français s'avance, à la manière et à l'ombre d'un
écrivain américain, caché derrière le visage d'une femme réelle,
travesti, discret.
Peu de chance qu'Alabama Song déclenche une
polémique, sinon parmi les admirateurs d'Ernest Hemingway qui,
personnage là encore masqué sous le nom de Lewis O'Connor, est traité
d'imbécile, de faux artiste et gratifié d'une liaison adultère avec le
mari de Zelda.