Vingt ans et un jour
Eté 1956. A la Maestranza, l'une des deux plus
vastes propriétés de la région, avec celle du torero Dominguin, une
étrange cérémonie expiatoire se prépare: dans la crypte, on s'apprête à
ensevelir ensemble, symboliquement, le maître José Maria et Chema,
principal responsable du soulèvement des journaliers, le 18 juillet
1936. Que s'est-il passé ce jour-là, à la Maestranza? Pourquoi cette
fusillade, alors que les paysans ne souhaitaient en aucun cas la mort
des patrons, seulement la collectivisation du domaine? Pourquoi,
aujourd'hui, cette inhumation commune, pour beaucoup scandaleuse?
Un journaliste américain y assiste. Historien, il prépare un ouvrage sur la guerre d'Espagne. Son modèle est Hemingway, qu'il a rencontré l'année précédente. Non pas le Hemingway romancier, mais celui des chroniques à chaud. Cet Américain bien tranquille d'apparence est un des porte-parole de Jorge Semprun dans ce beau roman-quête à la construction sophistiquée, sensuel, pictural, brûlé de soleil. Un soleil noir comme la mélancolie, comme la mort. «La mort, seul dieu que les Espagnols ont à partager», note Semprun.
L'auteur a beau avoir écrit pour Alain Resnais La guerre est finie,
elle ne le sera jamais dans son coeur ni dans son oeuvre. Sur les
routes du Sud, une fois encore, l'écrivain nous entraîne dans les
allers-retours du souvenir, fidèle à lui-même, fervent, sans nostalgie.
Pour pénétrer sa mémoire, les entrées sont nombreuses: une toile
d'Artemisia Gentileschi, les sonnets de Gongora, un tango, la voix de
Garcia Lorca lisant sa nouvelle pièce, La Maison de Bernarda Alba;
le visage de Mercedes, l'actuelle propriétaire de la Maestranza, qui
vit avec sa douleur de veuve et ses insatisfactions de femme; Isabel et
Lorenzo, ses enfants, regard tourné vers l'avenir.
Le moment est-il
venu de la réconciliation, après les noces funestes du sang et de la
dictature ? Au moins l'heure de l'apaisement: ce roman de l'après-guerre
est un traité de paix.