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Des gouts et des couleurs...
16 octobre 2007

Dans le café de la jeunesse perdue

La douce mélopée de Modiano


«Quel bonheur de flotter dans l'air et de connaître enfin cette sensation d'apesanteur que je recherche depuis toujours.» Louki, alias Jacqueline Choureau née Delanque ou encore «Jacqueline du Néant» est un être aux noms multiples, aux attaches hésitantes. Adresses successives dans Paris, amis dispersés, amours passantes, elle est l'héroïne de Dans le Café de la jeunesse perdue, dernier livre de Patrick Modiano qui s'inscrit avec grâce et cohérence dans cette œuvre littéraire si fidèle à elle-même.

Comme un ballon d'enfant gonflé à l'hélium, Louki tente constamment d'échapper à la gravité terrestre, celle des choses et des êtres - désireux de créer des liens -, celle des histoires et des destins qui vous saisissent, vous «charpentent» dirait peut-être sa mère, vous enracinent et vous condamnent ainsi à l'infinie répétition des mêmes gestes, des mêmes itinéraires. Elle n'a de cesse que de se dérober et de se perdre.
Etrange étoile dont Patrick Modiano étudie les révolutions un peu à la manière d'un astronome. L'écrivain observe, comme il le ferait à travers une lentille grossissante, les trajectoires de ses personnages et leurs points d'impact dans Paris. Vision détaillée mais partielle, d'où l'on tente de déduire les lois mystérieuses auxquelles répondent les personnages. Le paradigme astronomique revient de proche en proche dans le roman: l'expression «trous noirs» s'insinue à plusieurs reprises et un personnage Roland est dit «très intéressé par l'astronomie», avec une prédilection pour «la matière sombre» qui menace, semble-t-il, d'aspirer le réel. Dans ce monde mouvant d'apparitions et de disparitions, dans le cosmos qu'est ce Paris des années 1960, Patrick Modiano imagine des forces d'attraction.

Y a-t-il dès lors quoi que ce soit d'assez fort pour empêcher la dérive des êtres? Comment faire durer les liens entre humains «dans ce flot qui vous emporte»? Les personnages y répondent à leur manière, inventant des registres, arpentant, notant, tentant de poser quelques jalons.
Chacun de ces arpenteurs du réel semble mener le lecteur au plus près du projet littéraire de Patrick Modiano: «Dans cette vie qui vous apparaît quelques fois comme un grand terrain vague sans poteau indicateur, au milieu de toutes les lignes de fuite et les horizons perdus, on aimerait trouver des points de repère, dresser une sorte de cadastre pour n'avoir plus l'impression de naviguer au hasard.»
Et pourtant, toute tentative de recensement, de clarification semble vouée à l'incomplétude et à la perte. Est-elle d'ailleurs vraiment souhaitable? Puisque chez Patrick Modiano, comme dans certaines sociétés primitives, livrer son adresse véritable paraît parfois aussi dangereux que de révéler son nom caché.

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Commentaires
A
Ca me fait penser à "La maman et la putain"
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