Cendrillon
Il était une fois...
Cendrillon est un roman à lire maintenant, dans le tourbillon des
feuilles, dans les ors et les ombres. Car Cendrillon est un éloge de
l'automne. De bien d'autres choses aussi: de l'amour fou qui dure
longtemps, des pieds cambrés, des chaussures de Christian Laboutin, des
danseuses de Preljocaj, du Palais-Royal, du Brigadoon de Minelli et du
Trou de Jacques Becker (deux histoires d'évasion), des rousses, de
l'instant présent vécu comme une éternité. Voilà pour «l'existence
poétique».
Les digressions ne sont pas le moindre charme de cette architecture
baroque, débordante et structurée, qui forme un roman total: social et
politique, autofiction délirante, geste de colère amplifié par le
burlesque, mené par une nervosité contrôlée. Un livre qui est «trop»,
comme disent les ados, trop bien, trop drôle, et souvent trop long,
simplement trop. Et si le narrateur et ses personnages ont pour horizon
indépassable la langue serrée de Mallarmé, ils n'hésitent pas, eux, à
se livrer à des débordements verbaux.
«Que serais-je devenu si je n'avais pas rencontré Margot à
vingt-trois ans?», se demande Eric Reinhardt, le narrateur de
Cendrillon. Il se donne trois avatars, des fils, comme lui, de la
classe moyenne, à l'enfance écrabouillée par les déficiences et les
lâchetés des adultes. Patrick Neftel, le plus pathétique, dont le père
a fini par réaliser, à son instigation, ses menaces de suicide. Cette
mort à la fourchette, grand-guignolesque à souhait, a laissé
l'adolescent dans un état de prostration coupable. Il végète devant
l'écran de la télévision qu'il inonde de sperme tout en planifiant un
attentat sur le plateau d'un talk-show quand il ne spraye pas du
Mallarmé sur les HLM du quartier.
Avec brio, sens de l'oralité, démesure, mauvais goût, drôlerie,
rage, grâce à un art de l'entrelacs des figures, en tendant des pièges
au lecteur, en truffant le texte de références et de signes, Eric
Reinhardt a réussi un gros coup.