Histoire de la neutralité
Amis suisses, c'est pour vous !
Il n’y a que les Suisses pour se passionner ainsi pour l’idée, la
notion et même le concept de neutralité. Normal, ils sont les seuls à
l’avoir élevée au rang d’un des beaux arts en un siècle où les autres
nations se faisaient tuer en raison de leur engagement. Une récente Histoire de la neutralité. Une perspective (25
euros, 351 pages, Infolio) signée de l’historien Jean-Jacques
Langendorf vient de relancer la controverse sur cette OVNI politique et
militaire qui n’a jamais eu bonne presse. C’est l’enfant honteux de la
grande famille helvétique mais elle n’est pas prête à le renier. A
cette occasion, le quotidien Le Temps a eu la bonne idée d’organiser un débat
entre l’auteur et l’historien Antoine Fleury ainsi que le diplomate
Benedict de Tscharner. Ils ont commencé à disputer naturellement de la
seconde guerre mondiale puisque c’est à cette occasion que l’attitude
suisse a été la plus attaquée ces derniers temps. Mais ils sont vite
tombés d’accord : si la Suisse s’était engagée contre Hitler, ça aurait
été pire. Le pays aurait été laminé en moins de trois semaines; le
général Guisan aurait accepté de collaborer, même si on n’a jamais
trouvé de pro-allemands avérés au Conseil fédéral; une fois occupé,pays n’aurait pu offrir d’asile aux 22 000 juifs persécutés qui y ont
trouvé refuge etc Au lieu de quoi en maintenant sa neutralité (qui,
rappelons-le au passage, n’est pas inscrite dans la Constitution), la Confédération
est restée fidèle elle-même, mais il lui a fallu acheter son
indépendance en accordant un crédit à l’Allemagne. Bref, les trois
débateurs s’accordent à penser que grâce à sa politique de neutralité,
l’attitude suisse pendant la guerre a été globalement positive.
Et en dehors de la guerre qui est tout de même une période très particulière ? Au moment de la guerre froide, la neutralité est une illusion, la Suisse étant clairement dans le camp occidental ; n’empêche que les diplomates sont sans cesse en train de louvoyer entre Washington et Moscou, pesant leurs déclarations au trébuchet afin de voir si c’est compatible ou pas avec les tables de la loi de la neutralité. Et aujourd’hui ? Juste un principe de précaution et non l’alpha et l’oméga de la politique étrangère suisse. Au fond, la neutralité est comme la reine d’Angleterre : l’une et l’autre ne servent à rien mais chacune permet aux Suisses et aux Anglais de se forger une identité. In fine, chacun des trois débateurs apporte une élément intéressant qui vaut d’être creusé : le premier rappelle que puisqu’on ne peut pas être neutre tout seul, il faut faire reconnaître la neutralité par d’autres pour la conserver vivante ; le deuxième s’interroge sur le paradoxe selon lequel plus la jeunesse suisse est hostile à l’Europe, plus elle est favorable à la neutralité ; et le troisième est d’avis que plus on est pour la neutralité, moins on sait ce que c’est. C’était un débat typiquement CH et au fond assez neutre.