Belle du Seigneur
Rappel d'une conversation avec...
L'histoire éditoriale de Belle du Seigneur est à elle seule un roman.
Commencée en 1935, promise au public dès 1938, cette merveille des
merveilles ne vit le jour, après force coupes et remaniements, qu'en
1968. Bien que le moment fût peu propice aux succès littéraires, Albert
Cohen fit un malheur - et un malheur si durable que les éditions
Gallimard jugèrent tout à fait prématuré d'envisager une édition de
poche. Mieux, la Belle revêtit la reliure en peau de mouton havane de
La Pléiade avant d'enfiler le modeste cartonnage blanc de la collection
Folio. C'est seulement aujourd'hui, au bout de trente ans, qu'elle est
enfin offerte à toutes les bourses. Une occasion à saisir pour assister
à la rencontre de Solal et d'Ariane, d'un haut fonctionnaire de la SDN
et d'une bourgeoise mal mariée, d'un aristocrate juif cosmopolite et
d'une divine protestante genevoise.
Pendant plus de mille pages, Cohen
mélange les genres: l'hymne à l'amour, la satire, le monologue
avant-gardiste, la tragicomédie, la critique de mœurs, l'humour
lyrique. Il hausse le ton, il force sa voix, il imite les accents les
plus divers, il s'expose à tous les dangers, y compris au ridicule, il
multiplie les acrobaties. Sans filet. Et jamais il ne trébuche. C'est
incroyable. On a souvent envie d'applaudir. Parfois on n'en croit pas
ses yeux. Car, depuis un demi-siècle, il n'y a pas eu cinq romans de
langue française qui virevoltent à pareille altitude.