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Des gouts et des couleurs...
27 juin 2007

Université mon amour

Voici l'excellent article publié dans Le Monde du 27 juin par François Clément, enseignant-chercheur :

Mai le joli mai, le mois des commissions de spécialistes. L'université recrute ses professeurs et ses maîtres de conférences. En juin, les jeux sont faits. Ici l'on pleure, ici l'on rit. Candides candidats, si vous saviez… Par bonheur, il existe des commissions où l'on travaille de façon honnête, impartiale, au mérite, en cherchant à résoudre l'impossible équation entre le profil d'un poste et celui d'une personne qu'on ne connaît pas, qu'on découvre d'abord sous la forme d'un dossier de candidature, puis durant la "foire aux bestiaux" (qui porte le nom d'audition), cet exercice rituel comme l'université les aime : quinze minutes de parade pour la bête de concours et quinze de tripotage pour nous autres, les maquignons.

Mettez-vous à notre place : cette personne devant nous, c'est-à-dire vous, qui avez deux petits quarts d'heure pour vendre votre peau, que nous intimidons, nous les quinzeinconnus qui vous dévisageons (bien évidemment, il ne nous vient jamais à l'esprit de nous présenter), comment savoir ce qu'elle a dans le ventre? Ah oui, les rapporteurs l'ont dit, et vous l'avez redit dans votre boniment, vous êtes titulaire d'une thèse compostée à l'automate THF (Très honorable avec les félicitations du jury) et vous avez publié quelques articles, forcément des travaux de jeunesse puisque vous êtes jeune… Mais comment savoir si vous ferez l'affaire? Tout recrutement est un pari, car ce fameux profil tient de la carpe et du lapin : une chimère. Vous serez donc spécialiste de ceci (pour notre équipe de recherche) et en même temps de cela (pour les besoins de l'enseignement). Vous assurerez la préparation à l'agrégation (sur la nouvelle question, bien sûr; vous vous "taperez" les deux cours de masse (CM) de première année : 600copies par session, à raison de deux semestres et de deux sessions par semestre, ça fait 2400copies, sans compter l'ordinaire). Recherche, enseignement, et quelques tâches administratives.

Ainsi va notre quotidien, ainsi ira le vôtre. Et, voyez, nous sommes néanmoins capables de former de bons éléments, tels que vous, et de publier dans les revues internationales. Ne vous plaignez donc pas. Nous pourrions vous tirer à la courte paille, ou procéder comme dans les jeux d'enfants : plouf, plouf, ce-se-ra-toi… Où est le mal, d'ailleurs, du moment que la commission respecte l'égalité de traitement? Mais voilà, comment le dire, la perfection n'étant pas de ce monde, il faut compter avec les petits malins, les stratèges, les pêcheurs en eau trouble, les sournois, les anguilles, les sicaires, les moisis, les imbus du nombril, les après-moi-le-déluge, les timbrés, les jaloux – non, pas vous– nous, les membres de la commission! Alors, l'adéquation entre votre candidature et le profil du poste, vous pensez que ça se discute… Surtout lorsqu'il faut caser le poulain de Dupont. Ou le flinguer, parce que Dupont a fait le coup l'an passé à Durand et que le soutien de Durand est indispensable pour faire passer la pouliche de Dubois l'an prochain… Mais vous qui piétinez à la porte, ne perdez pas espoir. Vous avez une chance. La preuve? Lisez la suite. Tout y est authentique. Ici, on recrute sur un poste de langue étrangère une personne (très sympathique) qui présente l'intéressante particularité… de ne pas connaître la langue en question. Le petit personnel, nos (très utiles) vacataires, s'occupera fort bien du ménage (les cours de langue). Là, c'est une historienne qu'on parachute sur un poste de langue (oui, certaines langues sont bonnes filles en ce moment). Pas de problème, non plus, elle, au moins, en sait suffisamment pour assurer l'initiation. Quant au reste, grammaire, langue de spécialité, analyse littéraire, traduction technique, oral, tous ces trucs de linguistes, quelle idée d'embêter les étudiants avec ça! La valetaille y pourvoira.

Ailleurs, la commission a carrément fait tilt : concours infructueux. Les billes n'étaient-elles pas bonnes? Non, il y avait d'excellents candidats. Mais on dit que trois caciques ont décidé de régler leurs comptes; ou que M. le professeur X de l'université Y venant passer six mois en France, il faut trouver le support budgétaire; ou que… Il y a toujours une raison.

Voulez-vous que nous parlions du clanisme? Dommage, c'est parfois aussi rigolo que les histoires des O'Timmins et des O'Hara. Ou du népotisme? À ce propos, un conseil : ne vous mariez pas, ne vous pacsez pas, restez dans le concubinage et veillez à déclarer des domiciles séparés. Ainsi madame, membre de la commission, pourra participer au recrutement de monsieur, dont rien n'établit, juridiquement, qu'il a le moindre lien avec elle. Faut-il également dresser la liste des innombrables "irrégularités" de procédure? Le ministère s'en inquiète tous les ans, mais il n'a pas compris : nous connaissons parfaitement la réglementation. Ou recenser les cas de complète illégalité? Par exemple, cette commission dont l'un des membres ne possède aucun des titres requis pour en faire partie. Mais, chut, nous avons notre code de l'honneur, nous autres : le linge sale se lave en famille (le mieux, d'ailleurs, étant de ne pas le laver).

Allons, rassurez-vous, de telles pratiques sont marginales, nos commissions travaillent avec conscience, on ne le répétera jamais assez. Ou alors, il s'agit d'un banal incident, comme il en arrive à tout le monde dans la vie. Vous vous rappelez la scène? Vous poireautez dans le couloir, debout à tour de rôle parce qu'il n'y a qu'une malheureuse chaise pour quatre. Soudain, vacarme : la porte de la salle explose, le professeur Machin surgit, blême, tremblant, s'en va, une main referme la porte. Et puis voilà, plus rien, le calme est revenu. Nous vous le disions : un banal incident de parcours.

La prochaine fois, nous vous raconterons les commissions du CNU (Conseil national des universités). Pour l'heure, future ou futur "Cher(e) collègue", réjouissez-vous d'avoir pu concourir. Et laissez-nous jouer. Avec l'autonomie des universités, vous allez voir, nous allons bien nous amuser.

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Commentaires
L
C'est charmant ! Ca donne envie... J'ai toujours aimé le carnaval.
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