Les Messieurs de Grandval
Signol égrène le temps
Récemment, on l'a vu tremper avec bonheur sa plume dans une encre intimiste (La Grande Ile). Puis on l'a vu croquer, de façon moins heureuse que Delerm, les plaisirs minuscules de la nature (Les Vrais Bonheurs). Mais c'est dans les sagas familiales et régionalistes que Christian Signol semble être le plus à l'aise. Avec Les Messieurs de Grandval, l'écrivain du terroir revient à ses premières amours à succès (La Rivière Espérance, Les Vignes de Sainte-Colombe, Ce que vivent les hommes...). Et plonge ses lecteurs, toujours fidèles après une bonne vingtaine d'ouvrages (vendus chacun à 200 000 exemplaires, en moyenne!), dans l'univers oublié des maîtres de forges.
Au milieu du XIXe siècle, ces hommes du fer et du feu sont encore nombreux dans les campagnes. Chez les Grandval, le métier se transmet de père en fils. Très tôt, Fabien, le narrateur, sait qu'il succédera à Eloi, patriarche autoritaire régnant sur une petite fonderie de la vallée périgourdine de l'Auvézère. Il embrassera son destin en lui sacrifiant son amour pour Lina, la fille du métayer. Car leur liaison est impossible: certes, ouvriers et paysans mangent au château une fois l'an, conviés à la table du maître, mais la lutte des classes est tenace dans cette France du XIXe siècle. Bientôt, des vents autrement plus violents attisent la braise des forges de Grandval. L'acier de Lorraine, moins cher, menace la fonte traditionnelle. L'exode rural épuise le vivier des bons artisans. Et, venu de Paris, le souffle de révolte des «partageux» de la République gagne la province, où il embrase les velléités syndicales...
Jusqu'à la fin de sa vie, Fabien se battra pour que perdure un monde voué à disparaître au nom du progrès. Chez l'auteur du Quercy, le bonheur est dans les foins coupés et les vignes odorantes. Sa nostalgie rurale a le charme suranné des vieilles cartes postales. Mais pas seulement: ses personnages ont beau chercher la félicité au ras des blés blonds, Signol sait raconter leur quête dans ce qu'elle a de plus désespéré. Tant mieux: le drame est plus prenant quand l'herbe est moins verte.